A la fin du XIXème siècle, la vie sur Marettimo était difficile. En vérité, il en avait toujours été ainsi, mais les habitants de l’île la plus éloignée et la plus isolée de l’archipel des Égades, étaient proches de la famine.
Personne ne semble se souvenir exactement comment cela s’est passé ni qui a été le premier, mais au début du XXème siècle, un petit groupe d’habitants de l’île décidèrent qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de quitter Marettimo et de tenter leur chance ailleurs. Cependant, ils ne se rendirent pas seulement à Palerme, et ne choisirent pas non plus le nord de l’Italie… Au lieu de cela, ils parcoururent près de 9 000 km pour se rendre dans les déserts glacés d’Alaska.
Là-bas, de l’autre côté du monde, dans un environnement qui ne pouvait guère être plus différent de leur île méditerranéenne ensoleillée, les aventuriers de Marettimo allaient bientôt mettre leur expertise en matière de pêche à bon escient, dans les estuaires et les rivières riches en saumon de l’état le plus au nord des États-Unis.
Le village de Marettimo sut bientôt que bien que le travail fut dur et le climat inhospitalier, mais ils faisaient de l’argent en Alaska. Les pères envoyèrent leurs fils et les oncles leurs neveux et bientôt une grande partie de la population masculine de l’île avaient mis leurs hameçons en bandoulière pour les jeter dans les eaux lointaines. Les femmes et les enfants restèrent en grande partie sur Marettimo, et alimentèrent le feu de leur foyer grâce au bois acheté avec l’argent que leurs hommes éloignés renvoyaient chez eux.
Mais la saison de la pêche au saumon en Alaska était courte, dure et rémunératrice dans une certaine mesure seulement. Les Siciliens, frigorifiés, se dirigèrent vers le sud en vue de climats plus chauds, et se fixèrent (là encore, personne ne se souvient tout à fait comment ni pourquoi) à Monterey, en Californie. Au cours du XXème siècle, des familles entières arrivèrent de Marettimo à la recherche d’une vie meilleure. Ils pêchaient le bar, le thon et le calmar géant dans l’immensité du Pacifique, pendant la plus grande partie de l’année, mais ne manquèrent jamais leur rendez-vous de 2 mois avec le saumon d’Alaska.
Bientôt, la population de Marettimari en Californie éclipsa même celle de Marettimo. De plus en plus d’argent était renvoyé au pays, permettant à ceux qui étaient restés de construire de confortables maisons et de financer de petites entreprises. En effet, le village de Marettimo que nous voyons aujourd’hui, avec ses bateaux de pêche qui s’agitent au port, a été en grande partie construit et acheté avec de l’argent « américain ».
Le flux migratoire n’était pas à sens unique, cependant. Peter, 65 ans, dont les parents quittèrent Marettimo quand il avait dix ans, revint sur son île natale après plus de 50 ans de vie américaine. Son fils resta à Monterey, mais sa fille quant à elle, tomba amoureuse d’un jeune homme de Marettimare et revint, avec armes et bagages, vers la patrie de ses grands-parents. Malgré l’excellente qualité de vie, les avantages financiers et le confort californien de Monterey, l’histoire de Peter n’est pas rare et une partie importante de la population de l’île est aujourd’hui composée de ces « Américains ». Certains arrivent juste à temps pour mourir, d’autres passent toutes leurs années de retraite là-bas, profitant de la vie tranquille de leur maison spirituelle, de la pêche (parce qu’ils ne peuvent jamais renoncer à cela !) et rattrapent le temps perdu.
Encore aujourd’hui, beaucoup de Marettimari, comme Franco « Il Pirata », propriétaire d’un des restaurants de l’île, font le déplacement vers l’Alaska depuis leur domicile méditerranéen lors de la saison de la pêche au saumon. Leur voyage n’est pas entièrement motivé par le gain financier cependant : en faisant un voyage en partie comme des pêcheurs et en partie comme des pèlerins, ils assurent la poursuite de la tradition et rendent hommage à leurs ancêtres qui ont tant sacrifié pour maintenir Marettimo en vie.