En Italie du Sud et en Sicile, Roger II s’est fait roi avec l’appui du pape. Il a étendu son influence au-delà de la péninsule et de la grande île, jusque sur les côtes de l’Ifriqiya (Afrique). Mieux, le Normand a fondé un régime original, influencé tant par ses origines personnelles que par les cultures locales, grecque et musulmane.
Un héritage à assumer
Le roi normand s’éteint en 1154, à l’apogée de son pouvoir et ce malgré les premières difficultés en Orient et en Afrique. Lui succède son quatrième fils, Guillaume, qui a déjà près de trente ans. Il va jouir a posteriori d’une réputation peu flatteuse, et sera surnommé Guillaume « le Mauvais», entre autres à cause de son goût trop prononcé pour la gent féminine. Pourtant, il reprend le pouvoir de son père avec habileté, et sur les mêmes bases : contrôle des agités vassaux en s’appuyant sur des locaux, construction de nouveaux édifices qui deviennent des joyaux de l’art sicilo-normand telle la Ziza, commencée sous son règne, mode de vie à la cour très proche de celui d’un émir (harem,…). En revanche, il se fait moins ambitieux en politique extérieure en arrêtant l’expansion normande en Afrique et en stoppant un temps les offensives contre Byzance.
Cependant, ses choix s’avèrent risqués car il décide comme son père de s’appuyer sur Maion de Bari, « émir des émirs », ce qui rend encore plus jaloux les barons normands. Ces derniers reçoivent alors le soutien du basileus Manuel Comnène : Bari tombe sous le joug byzantin, et les vassaux italiens de Guillaume Ier se rebellent. Le roi normand a entretemps rompu avec le pape Hadrien IV, qui a couronné Frédéric Ier Barberousse et bénéficie de son soutien. Malgré sa position très isolée, Guillaume Ier parvient dès l’année 1156 à retourner la situation en sa faveur, montrant ainsi qu’il est bien un Hauteville : il écrase les rebelles en Sicile, puis rase Bari et fait le siège de Bénévent où il soumet le pape, comme l’avaient fait ses glorieux aïeuls, en l’obligeant à lui redonner sa légitimité sur l’Apulie et la Calabre, tout en retirant la principauté de Capoue à un autre Normand, Robert II.
Comble de malheur pour le pape, l’empereur Frédéric Ier l’attaque en Italie du Nord. Guillaume le Mauvais compte tout de même se venger des Byzantins : il attaque en 1157 et contraint Manuel Comnène à signer une paix de trente ans l’année suivante.
Le royaume normand entre alors dans une courte période de calme, grâce à des relations qui s’améliorent avec le pape suite à l’élection d’Alexandre III. Les Normands soutiennent d’ailleurs celui-ci contre Frédéric Barberousse : ils repoussent l’attaque de Christian de Mayence en Campanie en 1165, et rétablissent Alexandre III au détriment de l’antipape Pascal III.
Entretemps, Guillaume Ier a toutefois dû gérer une crise interne grave, suite à l’assassinat de Maion de Bari en 1160. La conspiration a mouillé plusieurs barons normands importants, et jusqu’à l’archevêque de Palerme en personne. Le roi lui-même échappe à la mort en 1161, et commence alors une campagne de punition sanglante dans toute l’Italie du Sud et la Sicile. Guillaume Ier rétablit son pouvoir, mais le royaume est cependant affaibli quand il meurt en 1166 et laisse le trône à son fils.
La fin de l’impérialisme normand en Méditerranée
C’est Marguerite de Sicile, mère du jeune roi de douze ans, qui assure la régence. Elle est aidée dans sa tâche par Etienne du Perche, fils de Rotrou II Comte du Perche, et proche des Plantagenêts. Etienne du Perche s’est fait connaître durant les troubles des années 1160, lorsque le roi a échappé à la mort : il est accusé d’avoir laissé éclater des « pogroms » anti-musulmans et est très mal vu par les locaux, jusque dans la plus haute administration. Nommé archevêque de Palerme en 1167, il doit fuir l’année suivante sous la menace d’une révolte.
Lorsque Guillaume II atteint sa majorité, le royaume normand est relativement apaisé, et il le gère au mieux, ce qui lui permettra, au contraire de son père, d’être surnommé « le Bon ». Le souverain décide alors de reprendre la politique impériale de son grand-père Roger II. En effet, sous le règne de Guillaume Ier, les Normands ont perdu leurs possessions en Afrique sous les coups des Almohades. Le nouveau roi décide de s’allier avec ces derniers, et signe un traité relativement avantageux : il semblerait qu’il ait obtenu, en 1180, qu’une présence normande soit maintenue à Mahdiya et Zawîla, mais surtout le paiement du tribut décidé sous le règne de Roger II, pour une protection contre les pirates et des avantages dans l’approvisionnement en céréales, ainsi qu’une paix avec les Almohades pour dix ans.
Le problème de l’Ifriqiya réglé, Guillaume II peut se tourner vers l’Orient. Après un échec lors d’une tentative sur Alexandrie en 1174, puis sur les Baléares au début des années 1180, il se rabat sur l’ennemi de toujours des Normands : l’Empire byzantin. Il est appelé par des opposants au basileus Adronic Comnène, et marche sur Durazzo en 1185. Ses troupes ravagent la Grèce un siècle après celles de son aïeul Robert Guiscard, et Thessalonique est une nouvelle fois pillée.
Mais, alors que sa flotte se dirige vers Constantinople, son armée est vaincue sur le Strymon le 7 novembre 1185. L’ambition impériale normande se brise définitivement, malgré l’envoi par Guillaume II d’une flotte au large de la Syrie pour réagir à la prise de Jérusalem par Saladin en 1187.
Le Christ couronnant Guillaume II
Mosaïque de la cathédrale de Montreale
L’agonie de la Sicile normande
Guillaume le Bon (« souverain estimé et aimé de ses sujets » selon Dante) décède prématurément en 1189, alors qu’il a prévu de participer à la croisade pour reconquérir la Ville sainte. Il s’est rapproché depuis plusieurs années de la famille Plantagenêt (héritière elle aussi des Normands, mais…de Normandie) en épousant Jeanne, fille d’Henri II et donc sœur de Richard Cœur de Lion, et s’oppose parallèlement aux ambitions de Frédéric Barberousse sur l’Italie. L’empereur germanique attaque la péninsule à plusieurs reprises, sans succès. Au congrès de Venise, en 1177, le roi normand joue un rôle important : la paix est signée entre Alexandre III et Frédéric Barberousse, mais aussi entre ce dernier et la Sicile normande de Guillaume II. Mais dans la lignée de cette trêve, les souverains arrangent le mariage de Constance, fille posthume de Roger II, avec Henri, fils de Frédéric Ier. Les conséquences sont catastrophiques pour l’héritage normand.
En effet, Guillaume II meurt à seulement trente-six ans et surtout sans successeur. Constance est donc l’héritière légitime, alors que l’année suivante son mari devient Henri VI et accède au trône du Saint Empire Germanique. Ainsi, la Sicile normande tombe sous la coupe de l’Empire. Les barons normands ne veulent évidemment pas devenir les vassaux d’un pays qu’ils ont toujours combattu, qu’ils aient été d’accord ou pas avec les rois normands qui les tenaient éloignés du pouvoir. Ils élisent donc l’un des leurs, Tancrède de Lecce, bâtard de Roger, l’un des fils de Roger II, mort prématurément. Le conflit éclate avec Constance, qui compte tout de même des partisans sur l’île, au moment même où Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste font escale en Sicile sur leur route pour la Terre sainte. Celui qui peut être considéré comme le dernier roi normand est vaincu par les troupes d’Henri VI et meurt à Palerme en 1194. Le 25 décembre de la même année, l’empereur germanique se fait couronner roi de Sicile en la cathédrale de Palerme et met fin à la dynastie normande.
Frédéric II Hohenstaufen, un héritage normand
L’empereur est connu pour sa cruauté, et il n’en a pas fini avec les Normands. Il profite de la cérémonie et du prétexte d’un complot contre lui pour faire prisonnière toute l’aristocratie normande ainsi que la famille de Tancrède de Lecce, dont le jeune Guillaume III qui avait pourtant renoncé au trône. Ils sont déportés en Allemagne avec un immense butin, parmi lequel les insignes de la royauté normande et la célèbre cape de Roger II. Les derniers barons normands encore sur l’île se révoltent en 1197, mais ils sont écrasés : l’empereur ordonne alors de crever les yeux des prisonniers en Allemagne, dont Guillaume III, qui meurt en captivité.
L’empereur meurt néanmoins devant Palerme le 28 septembre 1197, de raisons obscures. C’est son fils Frédéric II Hohenstaufen qui lui succède : il est normand par sa mère, et va en partie prolonger cet héritage par sa façon de gouverner. En effet, après ses difficultés d’accession au trône, il va mettre en place un régime qui va rappeler à maints égards celui de Roger II et de ses successeurs : polyglotte, il s’intéressera beaucoup à la culture grecque et encore plus arabe et islamique. Il sera accusé par certains de tenir un harem, et de se comporter comme un souverain oriental. Les mêmes griefs reprochés aux défunts rois normands de Sicile…